Sicario (2015) de Denis Villeneuve

Attention SPOILERS


Ce qui frappe d’abord dans Sicario c’est la mise en scène brillante et extrêmement tendue. On peut citer notamment deux scènes absolument mémorables : l’arrivée en voiture à Juarez qui se conclue par la vision de corps pendus et démembrés, qui n’est pas sans rappeler le très fameux plan séquence de Week-end de Jean-Luc Godard, et une autre scène de fusillade en vue nocturne.

 

A l’heure où François Hollande reçoit avec pleins d’honneurs le président corrompu du Mexique, Pena Nieto, pour lui vendre des hélicoptères, ce portrait de ce pays ultraviolent victime de l’impérialisme, où la démocratie n’est que pure façade, où les cartels de la drogue, dirigés par des milliardaires règnent en maître et où les affiches de disparition fleurissent sur chaque murs (on ne sait toujours pas ce qui est advenu aux 43 étudiants disparus) prend tout son intérêt. 

Mais une fois le choc passé de la réalisation géniale et  que l’on dépasse l’intérêt documentaire du film, on est bien obligé de s’interroger sur la morale de l'oeuvre, et lorsque l’on s’y penche attentivement , on réalise qu’elle est bien plus ambiguë qu’elle n’y paraît…

Sur le plan politique d’abord, il est finalement très dur de comprendre ce que dit Denis Villeneuve. Est-il en train d’insulter la naïveté anti-impérialiste des altermondialistes qui ne comprendraient rien à la realpolitik ? Comme un avocat d’Henri Kissinger qui nous expliquerait l’intérêt des escadrons de la mort qui ont œuvré et continuent parfois d’œuvrer en Amérique Latine pour la défense des intérêts économiques américains. Kate Macer (Emily Blunt) représente ici le citoyen progressiste américain, qui découvre avec horreur les exactions dont est capable son pays pour la préservation de ce qu’il considère comme dépendant de sa sécurité. Elle finit pourtant par faire ce qui lui est ordonné : renoncer à la défense du droit et retourner dans son patelin en fermant les yeux sur ce qu’elle a vu. Que nous dit alors le réalisateur ? « La vie n’est pas un conte de fée, c’est comme ça que ça marche », ou dénonce-t-il ? On peut aussi le penser par la scène barbare où Alejandro, joué par Benicio Del Toro (qui, semble t-il, est le seul acteur américain capable de jouer des trafiquants de drogue colombiens…) exécute la famille d’un chef de cartel, qui ne parrait à priori pas justifiable d’aucune façon. 

 

Sur la place de la femme ensuite, difficile d’y voir clair dans ce qui nous est montré. Sicario est aussi l’histoire d’une femme au milieu d’un monde d’hommes. Et ce que nous présente Denis Villeneuve c’est finalement le portrait d’une femme naïve, traitée comme une gamine, à qui les hommes apprennent tout, qui est tout le long du film réduit au rôle de victime, et qui finit par se soumettre. La scène la plus gênante dans ce registre étant peut être celle où, victime de son désir, elle est attaquée par son amant d’un soir, avant d’être secourue par Alejandro… A nouveau que veux nous dire Denis Villeneuve ? Essaye –t-il de dénoncer la violence patriarcale en contrastant la barbarie des hommes par une candeur qu’il pense féminine ? ou ne pense t-il même pas à la condition féminine lorsqu’il écrit ce rôle de femme-enfant auquel un cinéma trop largement dominé par les hommes nous a habitué et qui devient de plus en plus insupportable à regarder ?


Par l’ambiguïté non résolue du film, Sicario perd la quasi-totalité de sa puissance politique, au risque de le rendre un peu vain. Reste un thriller tendu et efficace porté par des acteurs indéniablement doués… 

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