L'Homme Irrationnel : Sympathique et vain... 

A Libre Cinéma, nous sommes d'accord pour dire que le dernier film de Woody Allen est plutôt agréable à regarder tout en se situant loin de ce qu'il a su faire de meilleur dans sa filmographie, toutefois nos analyses sur le film divergent quelque peu.

Une satire de la grande bourgeoisie intellectuelle


Au début de ce dernier film de Woody Allen , on craint le pire. Tout laisse penser qu’il s’agit effectivement d’une énième romance entre une étudiante naïve et son prof de philo médiocre bedonnant et cynique, comme le cinéma nous en abreuve à n’en plus pouvoir, et comme cela est d’une triste banalité dans la réalité du milieu universitaire. Même les scènes atrocement stéréotypées, vues et revues, du prof de philo faisant son cours de manière détachée, cool, tout en révolutionnant sa matière en énervant ses collègues et en entraînant l’adhésion ahurie de ses élèves alors qu’il ne dit en vérité rien d’autres que des inepties très propices à exaspérer quiconque s’est un peu penché sur la philosophie dans sa vie, ne nous sont pas épargnées.


Mais ce qui ressemble tout d’abord à un mauvais thriller érotique dans la grande bourgeoisie intellectuelle, que Woody Allen aime tant filmer, finit petit à petit par transcender les clichés qu’il a distillés par deux ruptures de ton qui se suivent.

La manière dont il se moque alors cruellement de ses personnages et de leur profond égoïsme fait qu’on pardonne alors vite les doutes initiaux et les quelques incohérences qu’on peut relever.

En poussant la logique de ses protagonistes, que l’on identifie volontiers, jusqu’à la caricature la plus totale, jusqu’à l’extrême, Woody Allen atteint une certaine vérité, toute cynique qu’elle soit.

Si L’Homme Irrationnel n’est pas un film majeur de son réalisateur, ce que l’on peut pardonner puisque ce dernier en fait désormais un an par an par peur de la mort, il est toutefois un film hybride (thriller, comédie sarcastique) plutôt drôle et intelligent, porté par un duo de qualité : Emma Stone et Joaquim Phoenix.  


Reprenant son schéma narratif habituel, Woody Allen signe un film inégal

 

Attention SPOILERS 


Le nouveau film de Woody Allen apparaissait, au premier abord, comme une énième redite du schéma narratif bien rodé du réalisateur américain : la description, dans une veine bergmanienne agrémentée d'humour et de légèreté, des tourments sentimentaux de la classe supérieure new-yorkaise. Et de fait ; la première partie du film semble confirmer cette crainte. Jill, étudiante doutée issue de la bourgeoisie américaine s'entiche d'Abe, brillant professeur de philo émotionnellement à la ramasse, qui vient d'être affecté dans l'université locale.

 

L'intrigue prend toutefois un tour inattendu quand Abe, ayant appris par hasard qu'une femme risque de perdre la garde de son enfant du fait des agissements d'un juge corrompu et malveillant, décide de supprimer ledit juge. On pense d'abord à l'acte gratuit tant vanté par les surréalistes et mis en scène par André Gide dans Les caves du Vatican. On se rend rapidement compte, toutefois, que l'acte n'a rien de gratuit : Abe entend ainsi agir enfin sur le monde pour, pense-t-il, le rendre meilleur. Le professeur de philosophie qu'il est, de toute évidence ancien activiste de gauche, a visiblement perdu foi dans la puissance des mots : qu'ont changé ses articles, ses écrits ? La mort de ce juge, elle, permet à une femme de conserver la garde de son enfant.

 

La piste de réflexion proposée ici aurait pu se révéler intéressante. Toutefois, le choix du cinéaste de rejeter Abe dans la folie clôt la réflexion, et nous fait aboutir à une impasse. L'alternative entre la stérilité des mots et la folie ne nous laisse en effet aucune échappatoire.

 

 

Le film de Woody Allen est plaisant, c'est entendu. L’habileté du réalisateur à passer du léger au tragique (avec le même succès que, chacun dans une veine bien différente, les Frères Coen ou Wes Anderson) est également remarquable. Et il faut saluer la performance de Joaquim Phoenix, toujours aussi talentueux et qui, fidèle à la méthode de l'Actor Studio, a visiblement pris un certain nombre de kilos pour entrer dans le rôle. Toutefois, le film se saborde lui même en tuant dans l’œuf les potentielles pistes de réflexion qu'il avait fait jaillir dans un premier temps.   

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Commentaires: 2
  • #1

    Patrick (dimanche, 08 novembre 2015 19:52)

    J'ai bien aimé le film et je trouve que vos avis sont justes.

    Je rajouterai une chose: le film a eu la capacité de me surprendre. Je pensais être parti pour voir un "bon film", alors qu'au début je me suis bien fais chier avec tous les clichés bateaux qu'ont nous inflige. Ensuite, quand Abe décide de tuer le juge, ça devient envoûtant.

    Le décalage entre le philosophe charismatique trop standardisé et le philosophe dans l'action (ça c'est pas commun), c'est novateur. C'est ça que j'ai kiffé ! Il est pas tout rouillé le vieux Woody Allen, mais il nous fait poireauter inutilement. Le film aurait dû commencer au bout d'1h et montrer plus de péripéties (mais il a dû avoir du mal à en imaginer).

  • #2

    Mademoiselle est comme tout le monde (dimanche, 29 novembre 2015 15:32)

    Pas le meilleur Woody Allen, mais quand même un très bon moment !
    J'en parle ici http://mademoiselleestcommetoutlemonde.blogspot.fr/2015/11/cinema-lhomme-irrationnel-woddy-allen.html