Aelita : poésie d'une révolution Marsienne 

J’ai pu assister à une diffusion du film Aelita dans le cadre d’un ciné-concert organisé par le centre Jean Vigo, c'est-à-dire qu’un groupe, le Stereopop Orchestra crée une bande originale pour ce film muet, qui, loin de le dénaturer, le sublime.

Attention SPOILERS ! 

 

Aelita sort en 1924 alors que Lénine vit ses derniers jours, et que sa mort n’a pas encore permis l’émergence de la barbarie stalinienne. La période du « communisme de guerre » est terminée, et le « socialisme réel » de l’Union Soviétique est perçu par des millions de russes ainsi que par des millions de personnes à travers le monde comme une source inépuisable d’espoirs et de progrès pour l’humanité toute entière. Le désir d’exporter la révolution est grand, et la propagande cinématographique est une des armes efficaces du combat culturel.

 

Dans cette optique, Aelita est un film de science-fiction, qui, par opposition aux délires corporatistes de Metropolis du fasciste Fritz Lang, prône la lutte de classe. Contrairement à Méliès, le film raconte la mise en place d’un voyage interplanétaire, non pas vers la lune, mais vers Mars ! Le rendant plus actuel à une époque où chaque année le projet de vols habités vers Mars se précise… Ce chantier gigantesque pour la construction du vaisseau spatial illustre la croyance socialiste en l’idée de progrès qui se manifeste par les avancées technologiques : en 1957, soit 33 ans plus tard, les soviétiques trouvaient « l’énergie capable de dépasser l’attraction terrestre » que cherche l’ingénieur Spiridonov dans le film, et plaçait en orbite le premier satellite artificiel Spoutnik 1.

Mais avant ce voyage spatial, Aelita s’intéresse à l’état de la terre. Il ne cache pas les difficultés comme les pénuries dont souffre le peuple russe mais qui semblent compensées par l’enthousiasme révolutionnaire qui a gagné  la patrie bolchévique.

 

Dans des scènes plutôt comiques, l’aristocratie déchue se souvient des privilèges perdus.
Les terriens sont observés par la reine de mars Aelita, dans une scène à la poésie certaine, que le Stereopop Orchestra magnifie, elle y voit tous les pays, notamment occidentaux, confirmant la visée humaniste et internationaliste de Yakov Protazanov, ainsi que l’amour. 

Puis s’organise le voyage extra-terrestre vers Mars mais il se trouve vite que la planète rouge n’est pas si rouge. Là-bas l’exploitation des travailleurs a une forme extrêmement brutale, illustrée par une scène hallucinante sur l’aliénation : les travailleurs sont condamnés à l’hibernation, leurs corps inanimés sont livrés sur des chaînes de montage puis entassés comme de vulgaires marchandises. Ce passage est surement l’un des plus évocateurs, sur un plan symbolique, de l’abêtissement du prolétariat dans l’usine capitaliste, avec la fameuse scène de Charlie Chaplin pris dans les rouages dans les Temps Modernes.

Un peu à la manière de Red Faction : Guerilla, les terriens vont alors exporter la révolution pour fonder "l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques de Mars", on sourit mais cela est très sérieux.

Au décor futuriste se mêle alors l’esthétique du « réalisme socialisme » : la scène de la révolution a quelque chose de parfaitement inattendue qui la rend plutôt extraordinaire notamment par son exagération. 25 octobre 1917 écrit avec le feu, un ouvrier ultra viril forgeant sa faucille avec son marteau… Yakov Protazanov semble avoir voulu/du remplir son cahier des charges révolutionnaire quitte à se défaire totalement de la trame de son scénario. Il n’empêche que le plan de l’ouvrier brisant sa chaîne à mains nues est effectivement magnifique…
La révolution a sa part de tragique : la reine Aelita (Ioulia Solntseva), dont Los (Nikolai Tsereteli) s’est énamouré, se veut dans un premier temps l’alliée et l’égérie de la révolution prolétarienne, elle trompe en réalité les travailleurs pour organiser un coup d’Etat contre Tsukub (Konstantin Eggert) et retourner ensuite l’armée contre ces derniers. Elle représente la trahison d’une aristocratie indigne de confiance : la révolution ne peut venir que du bas. Los est alors obligé de la neutraliser…

Puis cette scène onirique se termine par une révélation à la fois drôle et provocatrice : « Anta…Adeli…Uta », les trois mots mystérieux reçus par les radios du monde entier, sont en réalité issus d’une publicité pour une marque de pneus new-yorkaise, laissant présager une révolution, elle, bien réelle et terrestre, qui pourrait gagner l’Occident…  

 
Plein d’idées novatrices, moderne et osée, la poésie naïve et révolutionnaire d’Aelita ne vieillit pas, encore moins lorsqu’elle est accompagnée par la musique brillante du Stereopop Orchestra. 

 

Anatole 


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