Big Eyes : Tim Burton féministe ! 


Le genre du biopic, bien qu’ayant parfois donné naissance à de nombreuses œuvres tout à fait réjouissantes, peut aisément être décevant : en effet il contient ontologiquement l’écueil commun avec tous les films qui affichent fièrement mais non moins bêtement « ADAPTE D’UNE HISTOIRE VRAIE » dans leur bande-annonce, celui d’abaisser l’art et la créativité à force de trop vouloir coller à la réalité, et en cherchant moins à se l’approprier. C’est ce biais que Big Eyes évite avec un certain talent, propre à Tim Burton, réalisateur pourtant extrêmement inégal, capable de produire autant de films géniaux (Beetlejuice, Batman, Edward aux mains d’argent, Sweeney Todd, Les Noces funèbres) que d’ineffables navets (La Planète des singes, Sleepy Hollow).

Ses œuvres sont presque toujours filmés comme des contes, et c’est ce qui lie Big Eyes, plus réaliste, moins onirique que d’habitude, à la cohérence de sa filmographie.

Soulignons avant toute chose la photographie, superbe et colorée avec une vraie recherche sur la composition. La suite des plans, dont pas un seul ne paraît avoir été laissé au hasard, s’affiche comme une succession de peintures naturalistes (on pense à Edward Hopper), ce qui fait plutôt sens pour un film en lien avec la peinture.


Mais au-delà de la forme, Big Eyes apparaît comme un film féministe, quasi-militant, de bonne tenue.

On y voit la condition féminine dans l’Amérique des années 50-60 : Margaret Keane (Amy Adams) n’a ainsi pas le droit de travailler sans l’accord de son mari, elle est sans cesse jugée parce que séparée et doit élever son enfant seule (qu’on cherche toutefois à lui enlever) : « Je n’ai jamais agis librement, j’ai été une fille, puis une épouse, puis une mère » dit-elle.

Big Eyes raconte l’histoire vraie de Margaret Keane dont le mari s’appropriait le succès de ses peintures, en les signant à sa place : il en est ainsi de cette scène atroce où son mari s’attribue son œuvre pour la première fois devant elle alors qu’un client italien se déclare intéressé… Ce sujet des femmes expropriées de leur art, loin d’être marginal, est tout à fait fondamental car beaucoup plus courant qu’on pourrait le croire.Il est même une des raisons pour lesquelles les femmes paraissent si absentes de l’histoire de l’art. Un exemple célèbre en France est celui de Colette dont les premiers romans furent signés par son mari Willy.

Aborder le thème de la domination masculine dans le domaine de l’art  par le cinéma paraît d’autant plus pertinent qu’il est un autre secteur où elles sont également victimes de cette domination.

Tim Burton aborde différents aspects structurels du patriarcat, comme avec cette scène où Margaret tente de trouver des réponses auprès d’un pasteur qui lui répond : « En tant que chrétienne on vous a appris que l’homme est le chef de famille. Peut-être devriez-vous vous fier à son jugement… ».

A défaut d’entrer directement dans le conflit, s’ensuit une tentative désespérée d’émancipation par l’invention d’une nouvelle série de peintures avec un style différent qu’elle revendique en son nom. Son mari (Christoph Waltz) l’autorise à les présenter lors d’une interview avec un journaliste…mais en même temps et au même titre que les dessins médiocres de sa fille âgée d’une dizaine d’années. Margaret, rabaissée à un statut d’enfant, est alors à nouveau victime d’un processus classique de domination de la femme. « Rend nous service et tais-toi » lui ordonne Walter Keane dans une réplique à la portée symbolique évidente.

 


Si Margaret se vautre dans la servitude volontaire c’est dans, un premier temps, par soucis économique. Tim Burton évoque en effet également la précarité de la vie d’artiste : obligé de vendre ses toiles pour un dollar, de louer le couloir en direction des toilettes d’un club pour les exposer… 

 

Si le film doit sa qualité à la prestation plus que convenable d’Amy Adams, il la doit aussi au génie de Christoph Waltz aussi à l’aise dans son rôle d’imposteur romantique en col roulé, décrivant les plus belles années de sa vie en France, qu’en schizophrène violent (dans une scène finale non sans rappeler le Nicholson de Shining).

Big Eyes parvient finalement à compenser son classicisme par un humour certain, un duo d’acteurs talentueux, une admirable photographie et un message féministe fort bienvenu. 

Anatole 

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